EDITION DU VENDREDI 06 JUIN 2025
Le pouvoir de Kinshasa adore les effets d’annonce, surtout quand il brille plus que le quotidien du peuple. Avec le lancement du nouveau passeport biométrique, voilà que la République démocratique du Congo se donne des airs de Silicon Valley en pleine savane. Interface numérique, sécurité renforcée, démarches en ligne… On croirait presque à un État moderne. Sauf que dans ce décor digital, la réalité nationale reste figée dans les méandres de l’archaïsme : des millions de Congolais n’ont toujours ni carte d’identité, ni acte de naissance. C’est donc un passeport de façade qu’on nous propose, pendant que l’essentiel de la citoyenneté demeure inaccessible.
À 75 dollars l’unité, ce passeport devient un privilège de classe, pas un droit d’État. C’est l’équivalent de trois mois de salaire pour un fonctionnaire sous-payé, ou une montagne infranchissable pour les familles rurales. Derrière cette vitrine technologique se cache un business cynique, où le document censé incarner la liberté de circulation sert surtout à alimenter les caisses d’un pouvoir qui a transformé l’administration en marché noir. À défaut d’investir dans les routes, les écoles ou les hôpitaux, on investit dans des hologrammes pour mieux humilier ceux qui, déjà, n’ont rien.
Le plus insultant, c’est l’écart abyssal entre l’ambition affichée et les conditions de vie de la majorité. Le régime parle de biométrie alors qu’il ne maîtrise même pas les statistiques de sa propre population. On veut faire voyager le citoyen à l’étranger, alors qu’il ne peut même pas se faire enregistrer dans sa commune. Le comble de l’ironie, c’est que ceux qui se précipitent pour avoir un passeport ne le font pas pour explorer le monde, mais pour fuir un pays qui leur a tout pris, sauf leur souffrance.
Ce passeport n’est donc pas un symbole de souveraineté, mais une preuve de plus que l’État se dédouble : un État officiel, bien habillé, connecté et représenté dans les salons internationaux ; et un État réel, abandonné, corrompu, incapable de fournir les bases élémentaires de la citoyenneté. Dans ce théâtre administratif, l’identité congolaise est à vendre, mais jamais garantie. Le citoyen devient un client, ou pire, un suspect potentiel face à ses propres institutions.
La vérité est crue mais incontournable : tant qu’un Congolais naîtra sans acte, vivra sans papiers, mourra sans trace, aucun passeport ne viendra réparer cette faillite. L’innovation est un leurre quand elle ne repose sur aucun socle d’égalité. "Passeport en main, identité en panne" résume ainsi l’absurde paradoxe congolais : on imprime des documents de sortie, mais on enterre les droits d’entrée dans la citoyenneté. Et Kinshasa continue de nous vendre des hologrammes sur fond d’oubli généralisé.
Par la rédaction
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