

Le système Licence-Master-Doctorat (LMD), introduit en République démocratique du Congo pour moderniser l’enseignement supérieur, devait être une opportunité. Mais sa mise en œuvre s’est transformée en véritable casse-tête, révélant les failles profondes de l’université congolaise. La décision récente de l’Université Pédagogique Nationale (UPN) d’interdire les soutenances de licence pour les finalistes n’est pas un fait divers : c’est le symptôme d’un mal plus profond.
À travers quatre éditoriaux, nous analysons les dérives, les responsabilités et les solutions urgentes pour sauver l’enseignement supérieur congolais.
UPN : Quand l’administration piétine l’académique
À l’Université Pédagogique Nationale (UPN), le secrétariat académique a décidé de supprimer les soutenances et cérémonies de collation de grades pour les finalistes de licence en système LMD. Une mesure qui choque par sa brutalité et son absurdité. Comment justifier que des étudiants, après trois années d’efforts, soient privés d’un acte académique aussi essentiel que la défense publique de leur travail ? L’argument avancé – la licence serait incomplète sans le master – relève plus de la pirouette administrative que de la logique pédagogique.
La soutenance n’est pas une simple cérémonie décorative. Elle est un moment fondateur dans la vie d’un étudiant : l’occasion de démontrer sa capacité d’analyse, de défendre un raisonnement scientifique et de recevoir la reconnaissance de ses pairs. En l’interdisant, l’UPN réduit la licence à un diplôme distribué en catimini, dépourvu de la solennité qui en garantit la valeur académique et sociale.
Ce choix révèle surtout un malaise plus profond : l’incapacité chronique de l’UPN à encadrer correctement ses finalistes. Plutôt que d’assumer son rôle de formateur, l’établissement choisit la voie facile : supprimer ce qui demande organisation, rigueur et moyens. La décision n’est pas issue du ministère, mais d’une initiative interne. Dans d’autres universités du pays, comme l’UNIKIN ou l’UNILU, les soutenances continuent malgré les mêmes contraintes. L’UPN se singularise donc par une régression choquante.
Au lieu de renforcer la crédibilité du système LMD, cette interdiction la sabote. Déjà critiqué pour son improvisation, le LMD en RDC prend ici des allures d’expérimentation ratée, où les étudiants servent de cobayes d’une administration déconnectée. En réalité, c’est moins une mesure académique qu’un aveu d’échec institutionnel. L’UPN démontre qu’elle préfère étouffer l’expression scientifique plutôt que d’affronter ses propres carences.
Cette décision, si elle n’est pas rapidement annulée, laissera une tache durable sur la réputation de l’UPN. Elle est le symbole d’une université qui ne croit plus en ses étudiants, qui méprise leur travail et qui piétine la vocation même de l’enseignement supérieur. C’est un précédent dangereux, qui risque d’encourager d’autres établissements à sacrifier l’exigence académique au profit de la facilité bureaucratique.
LMD en RDC : une réforme mal digérée
Le système Licence-Master-Doctorat (LMD), censé moderniser l’enseignement supérieur congolais, tourne de plus en plus à la caricature. Importé sans réelle préparation, il s’est imposé à marche forcée dans des institutions déjà fragilisées. Résultat : confusion totale, application chaotique et étudiants livrés à l’improvisation. L’affaire récente de l’UPN, qui a interdit les soutenances en licence, n’est que la partie visible d’un iceberg de dysfonctionnements.
Le LMD est pensé pour favoriser la mobilité académique, valoriser les compétences et harmoniser les diplômes avec les standards internationaux. Mais en RDC, cette vision se heurte à une réalité brutale : manque criant de professeurs qualifiés, absence de bibliothèques modernes, laboratoires inexistants, et connexion Internet quasi fantomatique. Comment former des chercheurs compétitifs quand les étudiants n’ont même pas accès aux outils de base ?
Pire encore, chaque établissement applique le LMD à sa manière. Certains imposent le mémoire de licence, d’autres le remplacent par un simple projet tutoré, et d’autres encore, comme l’UPN, suppriment purement et simplement la soutenance. Cette cacophonie trahit l’absence d’une feuille de route claire et uniforme. Pendant ce temps, les étudiants, eux, naviguent à vue, sans savoir si leurs diplômes auront réellement une valeur sur le marché académique ou professionnel.
Dans les pays où le LMD a été intégré avec succès, comme le Sénégal ou le Cameroun, la réforme s’est accompagnée de véritables investissements en infrastructures et en formation des enseignants. En RDC, rien de tel : on a simplement plaqué un système étranger sur un terrain miné par la pauvreté des moyens et la faiblesse des institutions. Ce n’est donc pas le LMD en soi qui est mauvais, mais son application bâclée et opportuniste.
À ce rythme, le risque est énorme : transformer le LMD en un simple slogan administratif, sans contenu réel. Si rien n’est corrigé, cette réforme censée élever le niveau de l’enseignement supérieur congolais finira par creuser encore plus l’écart entre la RDC et ses voisins. Les étudiants méritent mieux qu’un système bricolé. Le LMD doit être refondé, ou il ne sera qu’une nouvelle illusion académique.
Un ministère complice par son silence
Le scandale de l’UPN, qui a interdit les soutenances en licence pour ses finalistes LMD, met en lumière une vérité plus dérangeante : l’absence totale de régulation du ministère de l’Enseignement supérieur et universitaire (ESU). Alors que les universités improvisent, contredisent la philosophie du LMD et prennent des décisions arbitraires, le ministère, lui, reste silencieux. Ce silence vaut complicité.
Car le rôle du ministère n’est pas de contempler passivement le désordre académique, mais d’assurer une ligne directrice claire et cohérente. Or, depuis l’introduction du LMD en RDC, aucune vision ferme n’a été imposée. Résultat : chaque établissement invente ses propres règles, certains imposant des soutenances, d’autres des projets allégés, et d’autres encore supprimant toute défense académique. Cette cacophonie fragilise non seulement les étudiants, mais aussi la crédibilité du diplôme congolais sur la scène internationale.
Plus grave encore, cette attitude passive du ministère trahit un désintérêt inquiétant pour l’avenir de la jeunesse congolaise. Le LMD aurait pu être une chance historique d’aligner l’université congolaise sur les standards mondiaux. Mais faute de moyens, de suivi et surtout de volonté politique, il est devenu un champ d’expérimentation ratée. À qui profite ce désordre, sinon à une bureaucratie qui se contente d’annoncer des réformes sans jamais en assurer l’application réelle ?
Dans des pays où le LMD a réussi, les ministères ont joué un rôle moteur : planification, recrutement d’enseignants, investissements ciblés, accompagnement pédagogique. En RDC, on a préféré la politique du « copier-coller », abandonnant ensuite les universités à elles-mêmes. Le cas de l’UPN n’est donc pas une anomalie isolée, mais la conséquence logique d’un ministère défaillant qui a choisi de fermer les yeux.
Tant que le ministère de l’ESU ne reprendra pas la main, l’enseignement supérieur congolais restera un conglomérat d’initiatives contradictoires. Il ne suffit pas de signer des arrêtés ou de brandir des slogans sur la modernisation : il faut assumer le pilotage, clarifier les règles, et surtout écouter les acteurs de terrain. Faute de quoi, le silence du ministère restera un coup de poignard dans le dos des étudiants.
Refonder l’université congolaise : une urgence nationale
La polémique sur l’interdiction des soutenances à l’UPN n’est pas un simple incident isolé. Elle est le symptôme d’un système universitaire malade, miné par l’improvisation, le manque de moyens et l’absence de vision. Le problème n’est pas seulement le LMD mal appliqué, ni le silence complice du ministère de l’ESU. Le vrai problème est plus profond : l’université congolaise a besoin d’une refondation totale.
Aujourd’hui, la plupart des établissements fonctionnent dans des conditions indignes : professeurs mal rémunérés et démotivés, infrastructures délabrées, amphithéâtres surpeuplés, bibliothèques vides, laboratoires inexistants. Les étudiants, eux, subissent le poids d’une réforme qui se veut moderne mais qui s’applique sur un terreau stérile. On leur promet la compétitivité internationale, alors qu’ils n’ont même pas accès à une connexion Internet stable ni à des ouvrages récents.
Refonder l’université congolaise, c’est d’abord investir massivement dans les infrastructures et le capital humain. Aucun système – ni le LMD ni un autre – ne peut fonctionner sans enseignants qualifiés, sans équipements modernes et sans une gouvernance transparente. C’est aussi harmoniser les pratiques académiques à travers tout le pays pour éviter la cacophonie actuelle où chaque établissement invente ses propres règles.
Il est urgent également de replacer la recherche au centre de la mission universitaire. Une université qui ne produit pas de savoir nouveau n’est qu’un centre de distribution de diplômes. La RDC a besoin de chercheurs capables d’éclairer les politiques publiques, de proposer des innovations adaptées au contexte local et de participer au rayonnement scientifique international. Cela exige des financements, mais surtout une volonté politique forte.
Enfin, refonder l’université congolaise, c’est redonner confiance aux étudiants. Leur formation ne doit plus être perçue comme un parcours semé d’humiliations, mais comme un tremplin vers l’avenir. Si rien n’est fait, le pays continuera de former des diplômés frustrés, mal préparés et sans perspectives. Si, en revanche, une réforme profonde est engagée, l’université congolaise peut redevenir un moteur de développement national. L’urgence n’est plus à débattre : elle est à l’action.
En définitive, l’affaire des soutenances supprimées à l’UPN n’est que la partie visible d’un iceberg. Derrière elle, se cache une réforme imposée sans préparation, un ministère absent et des universités livrées à elles-mêmes. Si rien n’est fait, l’enseignement supérieur congolais risque de perdre définitivement sa crédibilité, transformant les diplômes en titres sans valeur et les étudiants en victimes d’un système en faillite.
Il est temps d’agir. La refondation de l’université congolaise doit devenir une priorité nationale. Investissements, recrutement d’enseignants, harmonisation des pratiques, valorisation de la recherche : autant de chantiers incontournables. L’avenir du pays ne se construira pas sur des slogans ou des réformes bâclées, mais sur une université forte, crédible et tournée vers l’excellence.
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